Fauves hongrois, 1904-1914

Exposition
20 juin 2008 - 10 octobre 2008

Si les liens culturels entre la France et la Hongrie se sont resserrés depuis la chute du communisme en Europe en 1989, comme en témoigne notamment la récente exposition itinérante Ombres et lumières. Quatre siècles de peinture française inaugurée à Budapest à la fin de l’année 2004, force est de constater que les affinités artistiques entre nos deux pays remontent bien plus loin.
La culture occidentale, et plus particulièrement la culture française, a joué en effet un rôle majeur dans la formation et l’épanouissement de l’art moderne hongrois à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. C’est à cette période charnière de l’histoire de l’art européen qu’émergent, en réaction contre l’enseignement académique, les premières écoles artistiques nationales prônant alors une pédagogie moderne et ouverte aux expériences occidentales. L’une des ces plus célèbres écoles est celle de Nagybánya (actuelle Roumanie) qui a pour principal chef de file Károly Ferenczy dont l’art allie savamment la tradition naturaliste de son maître Simon Hollósy aux innovations de l’impressionnisme français. Délaissant les académies de Vienne et de Munich, les jeunes artistes hongrois ont alors les yeux résolument tournés vers Paris.

Lié au groupe des Nabis pendant son séjour en France, József Rippl-Rónai introduit dès son retour en Hongrie l’élégance raffinée du symbolisme et de l’Art Nouveau. Ces années 1900 voient se multiplier, à Budapest, d’importantes expositions qui révèlent au public hongrois les plus grands maîtres de l’art français contemporain, de Manet à Van Gogh, en passant par Degas, Seurat, Matisse, Cézanne et Gauguin. Dès lors, les artistes hongrois se partagent entre Paris, où ils étudient pendant l’hiver, tout en participant aux salons les plus avant-gardistes – le Salon d’Automne et celui des Indépendants -, Nagybánya et Budapest où ils peignent et exposent pendant l’été et l’automne. Stimulé par l’exemple de Rippl-Rónai, Béla Czóbel donne le ton : élève à l’Académie Julian, riche vivier de l’art moderne français, il côtoie les Fauves parisiens auprès de qui il expose quelques oeuvres au fameux Salon d’Automne de 1905. C’est sous son impulsion et celle des nouvelles tendances venues de France que se forme en Hongrie, entre 1906 et 1907, le groupe des néos, abréviation ironique du terme néoimpressionniste, né sous la plume d’une certaine presse conservatrice. Parmi eux se dégagent les personnalités de Vilmos Perlrott Csaba, élève de Matisse de 1906 à 1911, celle de Sándor Ziffer, qui découvre avec enthousiasme l’art de Gauguin, ou encore celles de Lajos Tihanyi, Géza Bornemisza, Tibor Boromisza, Sándor Galimberti et son épouse Valéria Dénes, tous deux proches du cercle de Matisse dans les années 1910.
Vers 1908-1909, Béla Czóbel et Ődön Márffy se rendent régulièrement dans la propriété du peintre Károly Kernstok, à Nyergesújfalu, au bord du Danube, pour y réaliser des peintures fauves.

Mais c’est dans la métropole hongroise que naît, le 30 décembre 1909, le groupe des Huit dont le radicalisme d’inspiration occidentale a son équivalent dans les domaines de la littérature et de la musique de Béla Bartok : Károly Kernstok, Béla Czóbel, Lajos Tihanyi, Dezsö Czigány, Ődön Márffy, Róbert Berény, Bertalan Pór et Dezsö Orbán.
Si l’influence de Matisse est surtout perceptible dans la représentation des nus et dans les vues, aux épais empâtements et aux couleurs vives, du village et des environs de Nagybánya, celle de Cézanne prévaut en revanche davantage dans les natures mortes et dans certains portraits. Aussi, le fauvisme hongrois, loin d’être une pâle transcription de la mouvance française, apparaît-il bien davantage comme une savante et complexe synthèse entre l’expressivité de la couleur matissienne et la rigueur de la plasticité cézanienne et déjà cubisante. D’ailleurs, ces Fauves hongrois ne se sont jamais définis comme un groupe sous cette appellation, employée aujourd’hui par commodité et par analogie avec les autres tendances du fauvisme européen. Ils sont plutôt des artistes aux personnalités individuelles et singulières mais partageant le même esprit moderne et les mêmes idéaux radicaux dans leur conception de la peinture.

Fruit d’un programme de recherche commun mené il y a trois ans par la Galerie nationale hongroise et l’Université de Budapest, ce projet s’est concrétisé l’année dernière par une exposition présentée à la Galerie Nationale Hongroise de Budapest, du 21 mars au 20 août 2006, sous le titre Fauves hongrois, de Paris à Nagybánya, 1904-1914, et dont les commissaires étaient Krisztina Passuth, Gergely Barki et György Szücs. L’objet de ces travaux était de poursuivre, sept ans après la grande exposition parisienne Le Fauvisme ou l’Epreuve du feu, la réflexion sur la diffusion du fauvisme français en Europe centrale, et plus particulièrement en Hongrie à laquelle l’exposition de 1999 n’avait consacré qu’une petite section. Bien que centrée sur ses artistes nationaux, l’exposition de Budapest s’était aussi intéressée à cette confrontation entre l’art de Matisse et de son cercle (Derain, Braque, Friesz, Vlaminck, Dufy, Van Dongen, Camoin, Manguin, Marquet…) et l’expression hongroise du fauvisme.

Initiée par la Hongrie, avant d’être proposée à Dijon puis au Cateau-Cambrésis et à Céret, cette exposition a pour but de présenter et de faire connaître au public français le travail de ces jeunes artistes, pour la plupart encore méconnus en France, qui révolutionnèrent la peinture magyare au contact des nouveaux courants picturaux du XXe siècle, en particulier le Fauvisme, et qui ouvrirent la voie aux différentes Avant-Gardes européennes.
En s’associant à cette aventure, les musées de Céret et du Cateau-Cambrésis, lieux emblématiques de l’art moderne français, ont renforcé la cohérence de ce projet. Comme Nagybánya, la petite cité catalane de Céret a attiré dans les premières décennies du XXe siècle de nombreux artistes d’avant-garde, autour du mouvement cubiste et de ses deux personnalités majeures Picasso et Braque qui ont séjourné dans la ville à partir de 1911. Les liens avec le port voisin de Collioure, situé à 30 kms à peine, ont toujours été importants et fertiles. Le musée de Céret travaille depuis plusieurs années à faire connaître l’histoire des quatre sites : Céret-Collioure-Cadaquès et Banyuls. Aristide Maillol a joué un rôle fédérateur sur ces quatre lieux et a lui-même accueilli de nombreux artistes dont Rippl-Rónai, au moment de leur période Nabi à la fin du XIXe siècle. Une amitié à laquelle la présentation de Céret fera écho à travers la présentation de quelques oeuvres réalisées par Rippl-Rónai à Banyuls.

Le commissariat de l’exposition a été confié, du côté hongrois, à Krisztina Passuth, Gergely Barki et György Szücs et du côté français, à Joséphine Matamoros, directrice du musée d’art moderne de Céret, Dominique Szymusiak, directrice du musée Matisse au Cateau-Cambrésis, et à Sophie Barthélémy, conservateur au musée des Beaux-Arts de Dijon. Les trois étapes de l’exposition seront accompagnées par un catalogue. Cette publication qui réunira des contributions scientifiques de spécialistes des deux pays – universitaires et conservateurs – sera l’occasion d’appréhender, sous un angle à la fois original et inédit, le développement du fauvisme en Hongrie, la perception et la réception du fauvisme hongrois en France et celles du fauvisme français en Hongrie.

Outre la présentation chronologique et thématique de cette révolution artistique majeure du modernisme hongrois, l’exposition et le catalogue auront pour objectifs de dégager et de comparer les caractéristiques des lieux emblématiques du fauvisme hongrois (Paris, Nagybánya, Nyergesújfalu, Budapest). Elle permettra, en outre, d’attirer l’attention des visiteurs sur les affinités et les disparités entre ces deux tendances du fauvisme européen, en mettant en évidence les spécificités du fauvisme hongrois dont les racines sont à rechercher dans la tradition nationale et la peinture française. A côté des genres picturaux traditionnels, tels que le paysage, la nature morte, le nu et le portrait, avec une prédilection caractéristique du fauvisme pour l’autoportrait et le portrait d’artiste, seront évoqués des thèmes caractéristiques de l’époque, comme l’exotisme, illustré en Hongrie par le motif des tziganes, emprunté autant à la vie paysanne qu’à la thématique de la gitane, si chère à Matisse et à Van Dongen.

A travers une importante sélection d’oeuvres – peintures, dessins et gravures – provenant des plus prestigieuses collections publiques et privées hongroises (Musée des Beaux-Arts de Budapest, Galerie nationale hongroise de Budapest, Musée Rippl-Rónai de Kaposvár, Musée Janus Pannonius de Pécs…), à laquelle s’ajouteront pour l’étape pyrénéenne, quelques oeuvres de Rippl-Rόnai et de Maillol, l’exposition évoquera cette aventure passionnante, mais encore mal connue en France et même en Hongrie, du fauvisme hongrois, de 1904 à 1914.

Un cycle de quatre conférences autour de cette exposition se déroulera tous les jeudis du 5 au 26 juin 2008, de 18h30 à 20h. Plein tarif 30 euros, inscription auprès du musée, T: 04-68-87-27-76.