Le peintre et l’arène

Art et tauromachie, de Goya à Barceló

Exposition
27 juin 2014 - 10 octobre 2014

« Ce que je voudrais c’est faire une corrida comme elle est (…) il faudrait une toile grande comme les arènes (…) Ce serait magnifique … ».

Ces propos de Picasso rapportés par son amie romancière et critique d’art Hélène Parmelin témoignent bien de la double passion qui anima l’artiste : passion pour la corrida, le spectacle de son enfance pour lequel il éprouva toute sa vie plaisir et fascination, passion pour la tauromachie comme sujet inépuisable de recherche plastique et artistique.

Ce n’est cependant pas une toile grande comme les arènes qui peut être aujourd’hui considérée comme le chef-d’œuvre de Picasso en la matière, mais bien une série de 30 coupelles de céramique que le peintre réalisa à Vallauris en 1953 et qu’il offrit l’année même de leur création au musée d’art moderne de Céret.

De Céret, Picasso garde sans doute le souvenir des étés passés entre 1911 et 1913, des riches heures de la recherche cubiste en compagnonnage avec Georges Braque. La petite ville avait alors été baptisée par le critique d’art André Salmon, « La Mecque du cubisme ». Céret est une cité de tradition taurine, où Picasso, après les années parisiennes du Bateau-lavoir, retrouve l’ambiance des corridas de son enfance à Malaga et de ses années de jeunesse à Barcelone.

Le musée de Céret vient d’être créé, en 1950, par la volonté de quelques érudits et artistes dont Pierre Brune, peintre local ami de Picasso. En 1953, Picasso fait don de 29 coupelles au musée. Il offre la trentième à Pierre Brune. Les coupelles tauromachiques demeurent, aujourd’hui encore, le chef-d’œuvre des collections du musée, qui se sont considérablement enrichies.

30 coupelles de céramique, d’environ 16 cm de diamètre, 6 cm de profondeur, faites d’une terre légèrement rosée ou blanche, ornées de peinture à l’engobe et de quelques émaux offrant une gamme de couleurs restreinte : plusieurs nuances d’ocre, du jaune, du blanc, un noir profond… Des objets d’une grande simplicité au sein desquels Picasso va représenter le spectacle tauromachique avec une inventivité et une audace incomparables.

Dans le creux de chaque coupelle, dont l’espace se confond avec celui de l’arène et de ses gradins, l’artiste joue avec la perspective, suit le mouvement de l’ombre et de la lumière, relate différents moments de la corrida, s’intéresse au combat dans l’arène comme à la vision des spectateurs dans les tribunes.

Autour de cet ensemble remarquable, présenté pour la première fois de façon exhaustive – la coupelle offerte à Pierre Brune, qui était manquante, vient d’être retrouvée aux Etats-Unis – l’exposition propose un ensemble d’œuvres qui, de Goya à Barceló, témoigne de la fascination des artistes pour la tauromachie comme spectacle mais aussi et surtout comme sujet de recherche plastique.

L’arène y apparaît pour les peintres et graveurs comme le corollaire de la page blanche pour l’écrivain. Michel Leiris, l’auteur fameux du Miroir de la tauromachie, exprime dans la préface de son œuvre autobiographique, L’âge d’homme, ce désir « d’introduire ne fût-ce que l’ombre d’une corne de taureau dans une œuvre littéraire ». L’arène comme lieu d’affrontement de l’homme et du taureau mais aussi et surtout comme lieu de confrontation entre l’artiste et son sujet est ainsi devenu le fil rouge de cette exposition, comme le serait un thème musical récurrent, trait d’union entre les œuvres.

L’exposition s’ouvre sur la Tauromaquia de Goya, une série de 40 estampes réalisées par l’inventeur de la représentation tauromachique moderne. Jeu de l’ombre et de la lumière, du blanc et du noir, jeu d’esquive et d’affrontement entre l’homme et de l’animal, multiples perspectives sur l’arène vue par le spectateur depuis les gradins ou par le torero depuis le centre de l’arène. Cette dernière, qu’il s’agisse de son seul centre ou ruedo, ou de son architecture dans son ensemble, est bien le centre de la scène et celui des préoccupations de l’artiste qui la contourne, s’en approche ou s’en éloigne pour mieux exprimer l’intensité du drame qui s’y joue. Après Goya, Picasso crée sa propre vision de La Tauromachie ou l’art de toréer. Plus proches de nous, Antonio Saura livre sa Sauromaquia, Gilles Aillaud une Tauromachie plus apaisée.

Chaque artiste offre ainsi une proposition originale de perspective, de cadrage et de découpage de la scène en séquences narratives dramatiques ou plus allègres, alors que le spectacle tauromachique lui-même semble s’éloigner des préoccupations du spectateur contemporain, voire heurter sa sensibilité.

Le but de l’exposition est de souligner l’intensité de ce qui se joue entre la corrida et la tension plastique de sa représentation artistique. Picasso encore et toujours, qui jouera sur le thème toute sa vie durant, mais aussi tous les artistes qui ont été happés par l’espace de l’arène, comme par une force centripète.

Parmi eux et aux côtés des grands noms de l’art moderne dont Juan Gris, André Masson, ou, plus proche de nous, Francis Bacon, on retrouvera pour ne citer que quelques noms parmi les contemporains Hervé Di Rosa et ces cercles dévorés par une foule bariolée et animée de regards enfiévrés, Alechinsky en une joute avec l’artiste mexicain Alberto Gironella, Claude Viallat inscrivant des passes dans l’espace de boîtes de fromage, Jean Le Gac inspiré après Manet par la figure du torero mort, Najia Mehadji noyant dans des éclosions de couleur les lignes incisives des gravures de Goya… jusqu’à l’image ultime de l’arène blanche par Miquel Barceló.