Henri Matisse

Séjours à Collioure en 1905, 1906, 1907, 1911, 1914.

Matisse arrive par le train dans le petit port de pêche le 16 mai 1905. Installé à l’hôtel de la gare, il est bientôt rejoint par son épouse Amélie et leurs deux garçons. Matisse loue une chambre qui lui sert d’atelier au port d’Avall. Sur place, il se lie d’amitié avec le peintre roussillonnais Etienne Terrus qui le présente aux autres artistes catalans comme Maillol, Bausil, Codet. Matisse retrouve aussi Georges Daniel de Montfreid, ami de Gauguin, déjà rencontré à Paris. C’est chez ce dernier qu’il découvre les bois sculptés primitifs envoyés en 1901 par Gauguin à son ami.

À l’invitation de Matisse, Derain le rejoint le 5 juillet 1905. Pendant prés de deux mois, ils travaillent ensemble, confrontant leurs points de vue, partageant leurs réflexions. Ils peignent les mêmes sites de Collioure mais jamais sous le même angle ni ensemble : le Voramar, le port d’Avall, la plage Saint-Vincent, le Morer – quartier des pêcheurs –, les criques de l’Olla et de Portells, le Racó… Parfois chez Matisse la touche pointilliste fait une apparition, les peintures ont des formats plutôt petits. Derain semble se lancer plus vaillamment dans les aplats fauves et sur des toiles plus grandes.

Lors de ce premier séjour Matisse réalise surtout des dessins et des aquarelles qui sont autant de notes prises sur le vif. De nombreux croquis et aquarelles sont inspirés par les activités quotidiennes des villageois et par les paysages environnants baignés d’une lumière très particulière. Parmi les quelques tableaux peints à Collioure en 1905, deux dénotent d’une nouvelle phase dans le travail de l’artiste : Fenêtre ouverte et Femme à la fenêtre, plus conceptuels, résolument tournés vers les grands aplats de couleur pure et aux ombres plus tranchées. Puis c’est La Plage rouge à la couleur intense. Matisse commente ainsi cette œuvre : « Vous vous étonnez sans doute de voir une plage de cette couleur, en réalité elle était sable jaune, je me rendis compte que je l’avais peinte en rouge, le lendemain j’essayais avec du jaune. Ça n’allait plus du tout, c’est pourquoi j’ai remis du rouge ». Enfin, peints d’après croquis à Paris fin 1905, Le Port d’Avall rompt définitivement avec la touche divisionniste, et le très célèbre Bonheur de vivre inspiré par la propriété d’un habitant de la colline au-dessus de l’Olla.

À leur retour Matisse présente La femme au chapeau qui fait scandale au Salon d’automne. Au cours des mois suivants, il commence à avoir ses propres collectionneurs comme Leo et Gertrude Stein. Les toiles de Derain sont achetées par le marchand Ambroise Vollard dès l’automne. Leur renommée est faite et le fauvisme est né.

En mai 1906 Matisse est de retour à Collioure après un voyage en Algérie. Durant ce séjour il peint la série de La Moulade. La touche pointilliste disparaît, les peintures sont de petits formats et les couleurs pures. Des natures mortes aux tapis ramenés d’Alger et des portraits de sa fille Marguerite voient le jour, ainsi que Le jeune marin I et II. Les Matisse restent à Collioure jusqu’en septembre 1907. Entre 1907 et 1911 Matisse peint, entre autres, Le Luxe I et Le Luxe II, Intérieur aux origines. Enfin lors du dernier et bref séjour de septembre 1914 il peint Porte fenêtre à Collioure où le noir est introduit pour la première fois comme une couleur pouvant produire de la lumière.

Aujourd’hui les toiles peintes par Matisse à Collioure sont présentées dans les plus grands musées du monde. Il sublime et rend immortel le clocher de Collioure. Le contact de Matisse et Derain avec cette luminosité, qui exacerbe la vivacité des couleurs, aboutit à la création d’un nouveau langage pictural fondé sur une construction non plus pointilliste mais en aplats de couleurs pures sans dégradés, où un dessin linéaire exclut ombres et modelés. Le fauvisme fait voler en éclats le postulat souscrit par la peinture de la Renaissance : le tableau comme un miroir du monde, représentation d’un spectacle où les effets comptent et non le faire, où la main de l’artiste est gommée.

C’est pour répondre à l’appel de Pierre Brune et de Frank Burty Haviland pour la création du musée d’Art moderne en 1950, que Matisse offre quatorze dessins datant de son premier séjour à Collioure. Raccommodeuses de filets, Barques à Collioure et cabestans servent de modèles pour plusieurs toiles dont Le Port d’Avall.