Pablo Picasso

Séjours à Céret en 1911, 1912, 1913, puis passage en 1953.

En 1911, Braque et Picasso poursuivent ensemble leurs recherches sur un nouveau langage pictural, le cubisme. Dans un souci de réalisme, ils souhaitent représenter l’objet comme ils le voient et comme ils le connaissent, son volume, sa matière, ses différents points de vue… Après avoir réduit l’objet à des formes géométriques simples, ils le découpent en plusieurs plans sur toute la surface du tableau. Le motif qui est représenté n’est plus la motivation principale du tableau. C’est le jeu de la composition qui prime et qui permet de déchiffrer le sujet représenté. Des volumes pourtant opposés se raccordent sur la surface de la toile créant un nouveau rythme plastique. C’est notre regard qui apprend à distinguer les informations et qui reconstituent les objets, les personnages, leur relation, une ambiance…

Picasso se rend à Céret durant l’été 1911 avec Fernande pour retrouver ses amis Manolo, Frank Burty Haviland et Déodat de Séverac. À son tour, il invitera ses propres amis à lui rendre visite dans le village catalan où Georges Braque le rejoint en août.

Lorsqu’ils séjournent à Céret, aucune forme ne prédomine sur une autre. Seuls quelques signes projetés sur une grille, d’abord verticale puis pyramidale, permettent de décrypter le sujet représenté : un clou, un citron… et de se repérer dans l’espace de la toile. Aucun d’entre eux ne se distingue par sa couleur, les teintes se nuancent en camaïeu de bruns et de jaunes assombris. Picasso introduit dans ses tableaux l’élément graphique avec par exemple les lettres du titre du journal local L’indépendant. Lors de ce séjour naîtront les toiles comme L’homme à la pipe, L’homme à la clarinette, Le torero, La bouteille de rhum…

Picasso revient durant l’été 1912, mais accompagné cette fois d’Eva. Son travail est alors marqué par l’introduction des premiers collages et par l’imitation des matières : faux marbre, faux bois. Les mots comme les objets ou les papiers collés constituent alors un vocabulaire à la fois plastique et allusif pour Picasso. La facture est beaucoup plus libre que dans le cubisme de 1911, la couleur est également de retour dans les toiles de cette époque : Fêtes de Céret, Compotiers et fruits, Nature morte espagnole. Céret est alors surnommée « La Mecque du cubisme » par le critique d’art André Salmon.

Au printemps et à l’été 1913, Picasso et Eva sont de nouveau à Céret, accompagnés de Max Jacob. La quasi-totalité des papiers collés de cette année-là y sont réalisés comme Bouteille de vieux marc, verre, journal. Au total plus de trois cents œuvres sont réalisées à Céret entre 1911 et 1913.

En juillet 1946, Picasso qui séjourne au Golfe-Juan se rend à l’exposition annuelle des potiers de Vallauris. Après avoir visité l’atelier Madoura dirigé par les époux Ramié, il perçoit l’étendue des possibilités que la céramique peut offrir. Un an après, Picasso revient dans cet atelier de Vallauris et sous le regard des ouvriers et de Suzanne Ramié, il innove, bouleverse les traditions. Par ses audaces défiant toutes les lois de la cuisson du matériau, il stupéfie ses amis potiers. Il réalise plus de 4 000 pièces.

Durant l’été 1953 Picasso séjourne à Perpignan chez le Comte de Lazerme et vient à plusieurs reprises à Céret avec ses enfants. Le 12 août, il apporte et offre au musée la série des coupelles tauromachiques. Quelques jours plus tard, lors d’un déjeuner à Fontfrède, naît le projet d’un monument en hommage à la paix au-dessus de Céret, juste à la frontière avec l’Espagne. Mais ce projet ne voit jamais le jour. En septembre Picasso est de nouveau à Céret pour assister à une corrida. Il revient pour le même motif en août 1954 et en mai 1955.

La série des coupelles est créée cinq mois plus tôt. En six jours, du 12 au 17 avril, Picasso peint à Vallauris une série de trente coupelles sur le thème de la tauromachie formant un ensemble unique. La première des coupelles en terre de faïence rose présente une scène tauromachique peinte en brun-noir inscrite dans une frise géométrique. Le ruedo est cerné par un trait ocre ; plusieurs points ocre-brun animent la frise et symbolisent le public. La Coupelle tauromachique du 14 avril se concentre sur une vue plongeante sur l’arène et ce principe est ensuite repris jusqu’à la fin de la série. Progressivement des émaux blancs, jaunes et gris viennent compléter la palette des premières pièces. Il est intéressant de noter l’évolution de la présence du soleil qui se glisse dans le ruedo ; dans l’avant-dernière Coupelle tauromachique il pleure sur l’arène.

Seule peinture offerte par l’artiste au musée, Nature morte au crâne et au pichet renoue avec un genre pictural très usité depuis le XVIIᵉ siècle : la vanité. Exprimer la vanité de toute chose, la précarité et la fin ultime et incontournable. La force, la structure et l’épaisseur de la touche picturale sont renforcées par le cercle noir qui délimite les objets de l’œuvre et donne du « poids » aux différents éléments de la composition qui s’oppose alors à l’idée de fragilité et de fugacité de la vie que renvoie le crâne.

En 1990, lors de la dation Jacqueline Picasso, le Portrait de Corina Pere Romeu fait partie des œuvres données à l’état par les héritiers en paiement des droits de succession et est attribuée au musée Picasso de Paris puis déposée au musée d’Art moderne de Céret. Cette œuvre datée de 1902 est antérieure aux premiers séjours d’artistes à Céret. Corina Jáuregui i Malgà était la femme de Pere Romeu i Borràs, propriétaire du cabaret « Els Quatre Gats », véritable centre des échanges culturels et artistiques de Barcelone entre 1897 et 1903. C’est dans ce lieu que Picasso rencontre écrivains, musiciens et plasticiens et se lie d’amitié avec Manolo.

Ce tableau s’inscrit parmi les portraits de la période bleue, période de l’artiste où les toiles sont dominées par cette couleur bleue, dense, épaisse et profonde. À ce moment Picasso peint la misère, la solitude et la maladie. Le Portrait de Corina Pere Romeu ne s’inscrit pas dans cette logique : bien que le personnage soit issu d’un milieu bourgeois, son regard est empreint de paix et de tranquillité bourgeoise.